Inés Rivoalen (2020), ingénieure chez ArianeGroup : « Au-delà de nos missions transverses et complexes, les relations humaines sont au cœur de notre métier. »
Interview de Inés Rivoalen
Comment devient-on ingénieure lancement chez ArianeGroup ?
J’ai été embauchée en CDI suite à mon stage de fin d’études. Je suis en poste depuis un an, et je n’ai pas constaté de parcours type. Les trajectoires des ingénieurs qui exercent chez ArianeGroup sont très diversifiées. On retrouve vraiment tous les types de profils.
Inés Rivoalen (promotion 2020), ingénieure lancement chez ArianeGroup. © ArianeGroup
Vous exercez un métier pas banal du tout dans un secteur qui fait rêver. Comment vivez-vous cette expérience ?
Je suis vraiment ravie d’avoir l’opportunité de travailler dans ce domaine, qui réunit des métiers-passion. Je m’estime très chanceuse de pouvoir contribuer au secteur aérospatial.
Quel est votre quotidien chez ArianeGroup ?
Les jours ne se ressemblent pas ! Le métier d’ingénieur lancement est très transverse et varié. Nous sommes responsables d’une phase de vol et nous devons veiller au bon fonctionnement de l’ensemble des systèmes. Nous préparons les essais pour tester les différents systèmes et les innovations, puis exploitons les résultats pour en évaluer la viabilité.
Nous préparons aussi les vols futurs, en effectuant par exemple des calculs de prédiction pour assurer le succès de la mission. Une fois le lancement effectué, nous recueillons les données obtenues en vol et les analysons.
L’ingénieur lancement contribue à toutes les phases du projet (qui peuvent durer plusieurs années !), de la conception des systèmes en passant par leur test jusqu’à leur application sur le lanceur.
Quels sont les principaux défis liés à votre métier ?
Ce métier touche à des sujets à la fois très transverses et très complexes d’un point de vue technique. On n’a pas le droit à l’erreur ! Il faut donc être très rigoureux, capable de s’adapter rapidement et apprendre vite.
Les relations humaines sont également au cœur du métier, car il faut satisfaire pleinement le client, avec qui nous sommes en contacts réguliers.
Quelles qualités votre métier exige-t-il ?
Un bon ingénieur lancement fait preuve d’une grande rigueur et d’une capacité à s’approprier rapidement des sujets techniques pour mieux les synthétiser. Nous devons aussi rester à l’écoute de toutes les parties prenantes.
Un métier stressant ?
Ce métier est très prenant et parfois difficile d’un point de vue technique, mais tout est fait dans l’entreprise pour minimiser le stress. Nous bénéficions d’un suivi et de beaucoup de soutien. Nous avons aussi la possibilité d’exercer des activités sportives tous les jours sur le site pour relâcher la pression.
Aussi, de nombreux événements entre collègues nourrissent notre lien. Nous profitons d’une très bonne cohésion.
Quelle a été votre plus belle expérience chez ArianeGroup à ce jour ?
J’ai passé un Noël 2021 original dans le centre de contrôle, avec les équipes de lancement. J’ai en effet pu suivre les opérations et la chronologie de lancement du James Webb Telescope. Je suis ravie d’avoir pu assister à ce grand moment de l’exploration spatiale ! Observer les équipes en plein travail et découvrir le lien entre les activités du site où j'exerçais et celui de Kourou était très intéressant.
Une autre expérience enrichissante a été de participer à un programme de mentorat : un véritable accélérateur d’apprentissage. Grâce à l’expérience et aux conseils de mon mentor, j’ai pu développer une vision beaucoup plus fine des enjeux du secteur et acquérir une connaissance approfondie des différents systèmes et outils de calcul.
Décollage du lanceur européen Ariane 5 VA252, en février 2020. © ArianeGroup
Étiez-vous passionnée d’aérospatial ou est-ce un domaine que vous avez découvert ?
J’ai découvert une passion pour ce domaine grâce à un livre que m’a fait lire mon père : L’Homme illustré, de Ray Bradbury. Un recueil de nouvelles futuristes dont la plupart se déroulent dans l’espace.
L’une de ces nouvelles, intitulée Ni un soir ni un matin, m’a beaucoup marquée. Elle raconte les pensées noires d’un homme durant un voyage interplanétaire. Cet homme est devenu astronaute, après avoir été « séduit par l’idée de n’avoir rien au-dessus, rien au-dessous, énormément de rien entre les deux et [lui] au milieu de tout ce rien ».
C’est un concept qui m’a beaucoup intriguée et dont j’aurais bien aimé faire l’expérience !
Quelle philosophie vous anime au quotidien ?
Je pense qu’il faut saisir les opportunités qui s’offrent à nous et ne jamais avoir de regrets. Je considère qu’il faut toujours tenter sa chance, même si parfois les dés ne semblent pas jouer en notre faveur. Les plus belles expériences professionnelles que j’ai vécues ont finalement été celles qui m’avaient fait le plus hésiter au premier abord, par peur de ne pas être à la hauteur !
L’histoire de Mary Sherman m’a beaucoup touchée. Elle a été la première femme à travailler à la NASA, parmi 900 ingénieurs. Spécialiste de la propulsion spatiale sans aucun diplôme universitaire, elle a créé un carburant liquide permettant de propulser la première fusée (Jupiter-C) et le premier satellite américain (Explorer 1).
Mary Sherman était une pionnière de la diversité dans le secteur et un vrai exemple pour toutes les femmes ingénieures à qui elle a ouvert la voie !
Avez-vous toujours voulu devenir ingénieure ?
Mon rêve d’enfant était de devenir astronaute ! Mais je suis ravie de pouvoir contribuer à la conquête de l’espace à travers le métier d’ingénieur.
Vous êtes aussi l’auteure de la nouvelle Seul le silence. Vous a-t-on déjà proposé d’écrire un livre sur la vie d’une jeune ingénieure lancement chez ArianeGroup ?
Ma passion pour la lecture m’a conduit à l’écriture. J’ai tenté l’aventure avec cette nouvelle lors d’un concours sur le thème du loup. Elle raconte l’errance d’un jeune garçon dans un monde post-apocalyptique et sa rencontre avec un animal sauvage, un loup.
Dans un futur proche, j’écrirais bien une nouvelle sur le thème de l’espace, pourquoi pas sur la tragédie de la navette spatiale Challenger.
Pourquoi avoir choisi Centrale Marseille pour obtenir le diplôme d’ingénieur ?
Lorsque j’ai été admise aux oraux, ma famille a reçu par La Poste la plaquette Alpha qui présentait toute la vie à Centrale. Les associations, les sports proposés et le cadre de vie me correspondaient tellement qu’elle m’a tout de suite visualisée dans cette école et s’en est trouvée très émue !
Je me suis également bien projetée dans le cadre qu’offrait Centrale Marseille. J’ai aussi été attirée par le fait que chaque élève doit passer au minimum six mois à l’étranger.
Que retenez-vous de votre vie à Centrale Marseille ?
Plein de belles rencontres, de moments partagés avec mes camarades de promotion et aussi beaucoup de voyages. J’ai de très bons souvenirs des campagnes pour l’élection du bureau des sports !
J’ai également beaucoup apprécié la dominante généraliste et l’aspect pratique de beaucoup de cours, avec notamment le parcours Biomédical au S8, qui nous a permis de visiter de nombreux laboratoires et entreprises et de réaliser un grand nombre d’expériences pratiques.
Pose d’une charge utile sur Ariane 5 VA250. La charge utile transportée par une fusée correspond à l’objectif de la mission spatiale : conduire un satellite, une sonde ou une capsule habitée en dehors de l’atmosphère pour le mettre en orbite autour de la Terre ou plus loin dans l’espace. © ArianeGroup
Quelle a été l'expérience la plus marquante ou l’enseignement le plus formateur ?
La possibilité d’effectuer un double diplôme en ingénierie spatiale à Polytechnique de Milan m’a permis de confirmer mon désir de spécialisation dans le secteur.
L’expérience qui m’a le plus marquée est ma participation à un projet de recherche sponsorisé par UNOOSA (nommé StELLIUM). Il visait à étudier le comportement des fluides magnétiques en microgravité. L’objectif était d’investiguer des méthodes de contrôle de ballottement des fluides en microgravité, un phénomène qui peut être très problématique en vol, notamment pour la gestion des ergols [ndlr : utilisés seul ou avec d’autres substances, les ergols sont chargés de fournir de l’énergie].
Nous avons pu accéder durant deux semaines à la tour de microgravité de ZARM, à Brême, pour catapulter notre expérience et la soumettre à une chute libre à 0 g pendant 9,3 s. J’ai aussi eu la chance d’être sponsorisée par l’Agence spatiale européenne pour présenter notre expérience lors du Congrès international d’astronautique, qui s’est tenu à Washington DC en 2019, et de participer au programme international ISEB organisé par la NASA. Une expérience vraiment extraordinaire, qui m’a permis de rencontrer différents chefs d’agence et astronautes et de découvrir tous les enjeux actuels du secteur aérospatial.
Êtes-vous restée en contact avec certain.e.s de vos camarades de promotion ?
Je suis restée très proche de mes camarades avec lesquels j’ai listé pour les campagnes. Je les vois régulièrement chaque année. J’ai également retrouvé des camarades de la liste qui m’a intégrée à mon arrivée à Marseille, et nous nous retrouvons souvent à Paris !
Des professeurs vous ont-ils marquée ?
M. Olivier Boiron, professeur de mécanique des fluides. J’avais beaucoup aimé ses cours, orientés sur l’aéronautique. Ils m’ont bien préparée à mon double diplôme en ingénierie spatiale à Polytechnique de Milan.
M. Boiron m’a également aidée à obtenir un stage à l’Université de San Diego. Ce stage a été un vrai défi pour moi et une très belle expérience, je lui en suis très reconnaissante !
Votre plus beau souvenir à Centrale Méditerranée ?
J’ai d’excellents souvenirs de ma colocation et de mon groupe d’amis, difficile d’en choisir un ! J’ai également de très beaux souvenirs des jeudis après-midi dédiés à la voile, dans la baie de Marseille.
Vous êtes engagée au sein de l’association Elles bougent, qui encourage les jeunes filles à s’orienter vers les formations scientifiques et techniques et à exercer leurs talents dans des secteurs technologiques et industriels où la parité n’existe pas. Pourquoi avoir choisi ce thème et cette association en particulier ?
Le thème de la féminisation des milieux scientifiques me tient à cœur depuis toujours pour ainsi dire. Au lycée, j’étais la seule fille de la classe à choisir la spécialité mathématiques. C’est à ce moment que je me suis rendu compte qu’il y avait un biais dans l’accès aux formations scientifiques. Ayant un père ingénieur, j’ai choisi cette voie tout naturellement, mais je sais que toutes les jeunes filles n’ont pas forcément cette chance. Je me suis engagée dans l’association à mon arrivée chez ArianeGroup pour cette raison : aider les jeunes filles à découvrir les métiers de l’industrie et les encourager à choisir leur voie.
Vous êtes point focal des marraines au sein de l’association. Quelle forme prend cet engagement ?
Le rôle de point focal des marraines Elles Bougent, partagé avec une de mes collègues, est multiple : nous essayons de créer un réseau d’entraide, d’organiser des moments d’échange entre les différents acteurs de l’association. Nous effectuons également le lien entre les marraines et les différents organismes qui sollicitent des interventions dans des écoles, des témoignages, des accompagnements à des salons ou des visites.
Les marraines et parrains (ou points relais) sont des femmes et des hommes qui s’appliquent à déconstruire les stéréotypes sur l’industrie et partager leur parcours et leurs expériences avec les plus jeunes, et plus particulièrement les jeunes filles.
Êtes-vous optimiste sur le sujet de l’égalité femmes-hommes ?
Je pense que ce n’est qu’une question de temps et que la clé de voûte de l’égalité se trouve dans l’éducation et la sensibilisation des plus jeunes.
Quel est votre vœu le plus cher en la matière ? Ou, dit autrement, si vous deviez être présidente de la République, quelle serait votre première mesure en faveur de l’égalité et contre les stéréotypes de genres ?
J’organiserais pour les élèves, dès le primaire, des rencontres avec des hommes et des femmes de tous les horizons pour présenter leur métier et ainsi inspirer des vocations. Nous devons démontrer que les vocations ne sont pas genrées, ni dans un sens ni dans un autre, et qu’il n’y a aucune limite à nos envies.
Les stéréotypes se combattent dès le plus jeune âge ! Au début du lycée, les élèves ont déjà intégré une représentation stéréotypée des métiers et des formations. De nombreuses études montrent que, à chaque palier d’orientation, filles et garçons font des choix différents, ce qui induit en fin de parcours scolaire des écarts considérables entre les deux sexes. Il devient donc à ce stade bien plus ardu d’agir pour la mixité. De là l’importance de sensibiliser les élèves au plus tôt.
Le « kick stage » d’ArianeGroup, un étage supplémentaire au-dessus de l’étage supérieur, permettra à Ariane 6 de « placer plusieurs charges utiles sur des orbites différentes lors d’un seul lancement ou d’injecter directement des satellites sur l’orbite visée », annonce le site internet de la coentreprise créée par Airbus et Safran. Le premier décollage d’Ariane 6 est prévu pour 2023. © ArianeGroup
ArianeGroup est-elle une organisation engagée sur la question de l’égalité des genres ?
ArianeGroup est très engagée sur la prise en compte de la mixité et de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En plus de campagnes de prévention des discriminations dans l’entreprise, la société s’est fixé un objectif de recrutement féminin de 30 %. Son adhésion à Elles Bougent permet de mieux faire connaître les métiers du spatial et d’inciter les jeunes filles à s’orienter davantage vers les formations techniques.
Qu’avez-vous découvert en pénétrant le monde professionnel ?
On apprend tous les jours et tout au long de sa vie professionnelle ! J’ai aussi pu découvrir une véritable entraide entre collègues, qui nous permet de progresser et d’accomplir sereinement nos objectifs, professionnels et personnels.
Qu’auriez-vous écrit si vous aviez dû rédiger un rapport d’étonnement sur vos premières années de vie professionnelle ?
Bien que j’ai eu un aperçu de la complexité des lanceurs au cours de mes études, j’ai beaucoup été surprise par la richesse des interfaces, la diversité des métiers de chacun au sein d’un même service et du degré de complexité de chaque système.
Nos lanceurs sont les fruits de collaborations vieilles de plusieurs décennies, portées par des milliers de gens venant de tous les pays et de tous les horizons : ce n’est pas une mince affaire ! Néanmoins, l’encadrement reçu au sein de l’entreprise et l’accompagnement apporté par mon tuteur, mon supérieur et mes collègues ont permis de rendre les choses plus simples et accessibles.
Comment vos études centraliennes vous sont-elles utiles aujourd’hui ?
La plus belle chose que j’ai apprise au cours de mes études centraliennes est la capacité d’adaptation. La formation d’ingénieur centralien nous permet d’être de véritables « couteaux suisses », et donc d’être efficaces sur tous les sujets.
Quels sont vos projets ? Où vous voyez-vous dans 10 ans (par exemple) ?
Dans 10 ans, je me vois encore dans l’entreprise ! Je souhaiterais m’orienter, après avoir acquis suffisamment de compétences techniques, vers le management ou la facette commerciale des lanceurs.
Auriez-vous un message à transmettre aux élèves ?
Profitez de toutes les opportunités qu’offre le cursus centralien, que ce soit en termes de projet, d’expériences à l’étranger et de doubles diplômes.
Ne négligez pas le choix de vos stages, y compris le stage de découverte de l’entreprise en première année. Vous prouverez ainsi votre passion pour l’ingénierie et vous vous démarquerez le jour où vous chercherez un poste !
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