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Conversation avec John Carter - être astrophysicien et la vie sur Mars

David Bowie disait « Is there life on Mars ? » (« Y a-t-il de la vie sur Mars ? »). Depuis toujours, cette planète tellurique inspire les fantasmes et les spéculations, de par ses similarités avec la terre. L’homme pourrait-il y vivre ? Des êtres ont-ils déjà vu le jour sur ce sol ocre et rocheux ? John Carter, Astrophysicien au laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM), en plus de sa casquette d’enseignant à Centrale Méditerranée a bien voulu nous expliquer, pourquoi Mars fascine tant (lui y compris) et démêler le vrai du faux, sur la n°4 de notre système solaire.
Mars

Pouvez-vous vous présenter ?

John Carter, je suis astrophysicien au laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM) et à l'Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS). Mon travail c’est de faire de la recherche en astrophysique, mais aussi des tâches de services, à l’échelle internationale ou nationale pour la communauté scientifique. Mon autre casquette c’est d’être enseignent dans des écoles et au sein des universités Aix Marseille, & Paris Saclay. Ici à Centrale je participe au module thématique “Habitat Céleste”, piloté par Julie Shurtz-Muyldermans avec les 1e et 2e années d’élèves ingénieurs.

Quel est votre projet de recherche ?

En ce moment je travaille sur l’instrumentation scientifique pour la recherche spatiale. En termes de spécialité, je suis planétologue. C’est-à-dire que je m’intéresse à la surface des planètes de notre système solaire. J’étudie leur histoire et leur évolution grâce à une approche avant tout observationnelle et à partir de données. Ce peut être des images, des spectres, des modèles 3D…

Les planètes dont on sait qu’il y a eu de l’eau liquide, m’intéressent particulièrement, comme Mars. Mais il n’y a pas qu’elle. Cela s’applique aussi aux petits corps du Système Solaire, aux satellites  "glacés" qui peuvent être aussi gros que notre lune et positionnés dans l’espace, bien plus loin du soleil que notre Terre.

étoiles

Comment vous y prenez-vous pour trouver des traces de vie dans l’espace infini ?

Nous ne pouvons ni affirmer ni infirmer que la vie a pu apparaitre, être préservée, ou même quelle forme elle aurait pu prendre. On cherche. On pense savoir où chercher, sur quelles planètes. On sait que ça va impliquer l’eau liquide, puisque sur Terre sans eau pas de vie. Donc dans cette eau, on cherche des propriétés qui auraient pu permettre une vie.

On pourrait dire que vous faites de l’archéologie planétaire ?

C’est tout à fait ça puisque nous cherchons des micros fossiles, ou pires, des fossiles chimiques. Je veux dire, des molécules chimiques, piégées dans des roches, notamment avec l’action de l’eau. On le voit assez facilement : si vous mettez de la roche avec de l’eau, elle va être altérée, désintégrée. Exception faite sur un vieux granit, où la roche va être à peine altérée. Bref, ces molécules permettent de retracer une éventuelle chimie du vivant. Cette eau piégée dans les roches on la voit un peu partout sur Mars, elle représente possiblement l’équivalent en volume d’un océan.

Pour autant, ce serait faux de dire qu’on mise tout notre travail sur la recherche de la vie, ce qu’on explore c’est la matière organique.

Notre plus gros frein, à l’inverse des archéologues terriens, c’est que nous ne pouvons pas nous rendre sur place et faire des prélèvements. En fait, on n’est allé nulle part ailleurs que sur la lune. Du coup nous devons construire des sondes spatiales, qui vont pouvoir faire cela à notre place. Soit, elles restent en orbite, soit elles atterrissent.

planete mars

Mais comment vous faites pour creuser, ou aller chercher ce qui vous intéresse à distance ?

C’est une bonne question. Déjà, on arrive à dater des terrains avec une technique basée sur le nombre de cratères. Logiquement, plus la surface est cratérisée et plus elle est vieille. La nature va parfois creuser à notre place : falaise, effondrement, impact de cratères. Tout cela va nous permettre de récupérer de la matière, normalement plus profondément enfouie.

La surface aussi nous apprend des choses. Par exemple, on sait que Mars avait auparavant de l’eau liquide en quantité grâce aux vestiges chimiques dans la roche, dont j’ai parlé, mais aussi parce qu’on voit des traces de vallée, de lac… Aujourd'hui, l'eau n'existe plus qu'à l'état de glace.

Qu’elle est la temporalité de ces projets de recherche ?

Entre le moment où une mission est pensée et le moment où elle produit des résultats, il peut se passer des décennies. Il faut beaucoup de résilience, et un sens de la continuité. Certaines missions ont été lancées par des gens qui sont maintenant à la retraite. On prépare en ce moment des missions qui verront le jour en 2050. Cela dépasse notre propre carrière. Je suis aussi très impliqué dans une mission de l’ESA qui va atterrir sur mars en 2031 et qui s’appelle ExoMars. Plus précisément, il s’agit d’un robot d’exobiologie (= biologie extraterrestre). Sa mission principale va être de chercher des traces de vies anciennes (chimiques ou micro-fossile). De mon côté, j’ai contribué à identifier son site d’atterrissage et aussi préparer l’analyse scientifique de certains instruments, aux côtés de chercheurs internationaux.

Les constantes de temps pour créer de nouvelles missions d’explorations dépassent notre parcours individuel et notre espérance de vie. Elles nous enseignent deux leçons d’humilité :

  • Notre travail est collectif. On part toujours du labeur de nos prédécesseurs. C’est bien de vouloir répondre aux grandes questions de l’humanité, mais on contribue tous d’une pierre, à un édifice bien plus grand, et qui nous dépasse.
  • On est face à notre propre limitation de terrien. Chaque jour on se pose des questions qui n’ont jamais de réponse.

Quelles sont vos contraintes quand vous designez de nouveaux outils tels que ceux qui vont partir avec la mission spatiale ExoMars ?

En effet nous avons des enjeux forts, les outils doivent être compacts, légers, petits, très peu énergivores, et résister à des conditions climatiques terribles.

L’air du temps c’est l’efficacité et la sobriété. Et c’est justement ce qu’on vise dans chaque instrument. On est formé pour ne rien gâcher, car chaque kilogramme qu’on envoie dans l’espace ne doit pas être gaspillé. Il faut minimiser. Le système humain a besoin d‘être optimisé un peu comme un instrument spatial.

En tout cas, ces nouveaux instruments scientifiques aussi font grandement avancer le développement industriel de pointe en optique, électronique, mécanique. On participe à la R&D à pousser les limites industrielles avec des retombées économiques et techniques.

Est-ce qu’on pourrait un jour espérer vivre sur Mars ?

On cherche intensément des traces de vie ancienne sur mars et on cherche toujours. Mais il ne faudrait pas faire d’amalgame : l'homme n'est pas fait pour vivre en dehors de la Terre. Ce n’est ni possible, ni même souhaitable. Il n’existe pas de planète B et ce mythe véhiculé par certains milliardaires est dangereux. On est intrinsèquement inadapté à la vie sur Mars. Imaginez vivre enterré dans des boîtes de conserve géantes. Ce n’est pas souhaitable. L’humain n’est pas contre la nature, il en est totalement dépendant même si la réciproque n’est pas forcément vraie.

Ce serait comment Mars si on se téléportait aujourd’hui ?

Si on était sur Mars aujourd’hui, on serait dans un désert encore plus sec et froid, que les déserts les plus secs et froids, que nous connaissons sur Terre. L’air est totalement irrespirable. Il n’y a pas du tout d’oxygène et quasi que du CO2. C’est une planète bombardée par les rayonnements solaires.

Mais par le passé elle n’était pas comme ça. Les vestiges comme des traces d’eau nous indiquent que la planète était plus chaude, avec une hydrosphère. Il y avait beaucoup plus d’eau.

vie mars

Pourquoi est-ce qu’on dit que regarder les étoiles, c’est regarder dans le passé ?

C’est vrai. On fait de la recherche scientifique aussi pour connaitre nos origines. Quand la vie est apparue sur la Terre, les conditions de vie ne devaient pas être très différentes sur Mars. Notre planète est très active au niveau tectonique, la vie, la biosphère, le recyclage des continents, tout est chauffé, pulvérisé, remodelé. Alors que Mars elle s’est mise au congélateur assez rapidement. Donc en étudiant Mars dans sa partie la plus ancienne on va peut-être sonder aussi les conditions de vie sur notre propre planète. On pense que pas mal de choses peuvent être transposées.

Qu’est-ce que vous voudriez dire à des élèves ingénieurs, qui se destinent peut-être à des carrières d’astrophysique dans la recherche ?

L’astrophysique, c’est un milieu où des profils extrêmement variés se côtoient. Dans tous les laboratoires, on voit des ingénieurs qui viennent de grandes, écoles, grands organismes, et aussi des gens qui viennent de la FAC.

Ce n’est pas forcément un métier déconnecté de la réalité avec des gens lunaires. Tous les métiers, y compris d’ingénieurs, sont rigoureux. Les questions sont assez ésotériques, mais pour répondre aux questions posées, il faut s’appliquer une rigueur extrême. Le spatial, ça ne pardonne pas. C’est un travail extrêmement exigeant, par exemple en termes de mathématiques.

Par contre, il faut accepter ceci : en étant ingénieur dans le spatial, on ne nait pas manager ou manageuse de projet, on le devient. Quand on commence une carrière dans le spatial, il faut accepter de commencer par travailler sur des sous-systèmes. Un projet spatial : ce sont aussi beaucoup des ingénieurs généralistes qui font de la gestion de projet, des ingénieurs système, qualité, et qui petit à petit se spécialisent.

Mon analyse c’est que ces métiers sont intéressants, car tous les profils marchent bien. Les créatifs permettent d’innover sur les idées et les concepts techniques. Les plus "scolaires" vont s’épanouir dans l’exécution de pointe. Et quand ces deux mondes travaillent ensemble, on parvient à un environnement de travail d’excellence, capable de penser sans barrières, de sortir des sentiers battus. Imaginez : vous devez concevoir un type d’instrument jamais imaginé auparavant.

Est-ce que vous auriez un autre exemple pour illustrer cette croisée des domaines, et la capacité d’innovation propre au spatial ?

Bien sûr ! Des fois par hasard on tombe sur le travail d’un grand groupe pharmaceutique pour vérifier la pureté d’un médicament, et on se rend compte qu’on pourrait l’utiliser pour trouver de la vie sur Mars. On essaye de développer ça au LAM par exemple.

Un autre exemple d’une innovation piquée au spatial cette fois : on a pour projet d’utiliser des caméras à technologie infrarouge développées à l’origine pour la géologie et l’astrophysique et de l’appliquer à l’étude de l’art pariétal. C’est dans les tuyaux.

Des chercheurs ont découvert que ces technologies s’appliquent très bien dans des grottes, pour faire apparaitre des dessins préhistoriques, alors qu’originellement, elles n’étaient pas développées du tout pour l’art des cavernes.

C’est pour cela que nous devons être tout le temps en veille scientifique et technologique. Il ne faut pas stagner dans sa conception du monde, pour mieux percevoir ce qui pourrait être amélioré et in fine, inventer de nouveaux instruments qui iront dans l’espace.

J’aime mon domaine parce qu’on est là pour créer, scientifiquement et techniquement.

équipe

- Crédit photo : ESA 

"On n’est pas là pour faire du fordisme."

On côtoie un nombre incalculable de gens passionnés, aux profils variés, attirés par l’envie de percer les secrets de l’univers. Les motivations sont profondes. Chacun, chacune avec ses rêves de gosses, sa spécialité et son expertise cherche à progresser dans ce sens.

Je ne voudrais pas non plus idéaliser le métier. Les moyens humains sont parfois trop restreints. Et comme dans tous les secteurs, on passe une bonne partie de notre temps à faire des choses qui ne sont pas notre cœur de métier, comme de l’administratif.

Un mot pour conclure ?

Chaque jour dans mon métier je fais face à l’inconnu. C’est parfois frustrant et anxiogène, car plus j’avance dans les sujets et plus j’ai l’impression de ne rien savoir. Travailler dans le spatial, c’est apprendre à attendre et à donner pour les autres, en faisant fi des limites géographiques puisqu’on travaille avec des équipes du monde entier. Au fond, chercher à percer les secrets de l’univers c’est la preuve qu’on est capable, de mettre l’altérité et la recherche de la vérité au centre de tout.

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