Gustavo Henndel Lopes, du Brésil à Centrale Méditerranée en double-diplôme et thèse
Quel a été votre parcours avant Centrale Méditerranée ?
Avant Centrale, j’ai étudié le génie des procédés, ou génie chimique, à l’Universidade Federal do Rio Grande do Sul (UFRGS), située à Porto Alegre, au Brésil, pendant deux ans et demi. C’était un parcours d’études très classique. J’ai passé l’examen d’entrée de cette université après mon cursus au lycée.
Aviez-vous déjà eu une expérience à l’étranger avant de venir à Marseille ?
Au lycée, j’ai réalisé une année d’échange en Autriche et au Liechtenstein avec l’organisation AFS. Cette expérience a ouvert mon esprit vers l’Europe. Pour la suite de mon parcours, je m’imaginais faire mes études en Allemagne, en Suisse ou en Autriche. Je parlais l’allemand couramment.
Mon père, lui-même un ancien employé dans l’industrie chimique, a eu une grande influence dans le choix d’un pays de langue allemande. Il me disait que les pays germanophones avaient une grande expérience en ingénierie, notamment en ingénierie chimique.
C’était une époque, au Brésil, où le domaine technique était en plein essor. J’y voyais l’opportunité de trouver un bon travail. Dans cette optique, faire mes études à l’étranger a toujours été une évidence. Au-delà de ce contexte, j’avais une attirance pour l’étranger. À 7 ans, je lisais les livres scolaires de géographie des années 1970 de ma mère, notamment sur le Japon, je regardais beaucoup de dessins animés japonais. Avant l’anglais, j’ai d’ailleurs commencé à apprendre le japonais en primaire. Enfant, je lisais une encyclopédie à la maison pour connaître plus sur les pays et les villes du monde !
Pendant l’adolescence, je n’avais rien de particulier contre le Brésil, mais l’étranger, tout ce qui était à l’extérieur de mon pays m’attirait. Résultat, je suis la première personne de ma famille étendue à avoir fait des études à l’étranger, à avoir envisagé même une vie à l’étranger. C’était inimaginable à mon époque, fin des années 90 début des années 2000, qu’un adolescent dans ma famille songe à faire sa vie à l’étranger.
J’ai eu de la chance, ma famille ne m’a jamais coupé les ailes, ils ne m’ont pas posé de limite et m’ont apporté énormément de soutien de toutes formes.
Comment êtes-vous arrivé à Marseille ?
J’ai décidé que j’allais postuler au programme de double diplôme entre les universités brésiliennes et les Écoles Centrale lors de mon deuxième jour à l’université au Brésil. J’étais en cours de génie des procédés, l’enseignante nous a parlé de ce programme. Ce jour-là, soit un an et demi avant de pouvoir postuler, je me suis dit « je vais essayer, c’est mon objectif ». C’était un diplôme qui me permettait d’envisager vraiment une carrière et une vie à l’international.
J’ai investi beaucoup de mon temps, de mon énergie, pour remplir les critères demandés par cette sélection qui était très stricte. Ma préparation a duré presque deux ans. Il y avait peu de places et il fallait être parmi les étudiants avec les meilleurs résultats de toute l’université. Les recruteurs français du programme de double diplôme m’ont choisi et m’ont proposé de venir à Marseille. Je me rappelle que pendant l’entretien j’ai un peu parlé de cette ville. Ce devait être lié à la météo… Je ne me souviens pas vraiment et je ne suis pas sûr que ça ait joué dans leur décision. J’avais un bon dossier, et donc j’ai également bénéficié de la bourse BRAFITEC du gouvernement brésilien pendant ma première année à Marseille, ce qui m’a beaucoup aidé.
Je connaissais toutes les grandes villes françaises et européennes. Je savais que Marseille était une ville ouverte sur la Méditerranée, sur le passé et l’avenir et… Je connaissais l’OM !
En 2007, avant d’arriver à Marseille, je ressentais un mélange d’enthousiasme à l’idée d’étudier à l’étranger pendant deux ans, d’habiter seul, de rencontrer de nouvelles personnes. Mais j’éprouvais également beaucoup de peur. Je savais que le niveau d’exigence des Grandes Écoles françaises était très haut. Les anciens élèves qui avaient suivi ce double diplôme nous avaient dit : « vous allez réussir, mais ça va être difficile ». Ils avaient raison.
Comment s’est passée votre arrivée à Marseille ?
Nous avons eu un très bon accueil d’Emmy Arts, de Marianne Gonssard, de Solange Brucci et de tout le service des relations internationales. C’était un pilier tout au long de notre parcours. Le BDE aussi. Je me souviens de quelques activités pendant les premières semaines, ils nous ont emmenés au centre-ville, aux Calanques, à boire du pastis et même à IKEA en mini-bus !
C’est vraiment pendant le week-end d’intégration fin septembre que nous avons pu nous rapprocher des étudiants français. C’était un moment spécial, d’autant plus que dès les premières semaines, la charge de travail était très importante.
Parliez-vous bien français en arrivant ?
Il m’a fallu 2 à 3 mois pour être à l’aise avec la langue française. La première fois que j’ai étudié le français, j’étais au lycée en échange en Autriche. Ça n’a pas été simple d’apprendre le français à partir de l’allemand, qu’au début je ne parlais pas non plus, mais je me suis quand même régalé. J’avais ensuite étudié le français au Brésil, je voulais mettre toutes les chances de mon côté pour être retenu dans le programme de double diplôme, donc j’avais décidé de faire tous les entretiens pour le double diplôme en français. Pour cela, j’ai suivi deux ans de cours à l’Alliance Française et des cours particuliers. En arrivant à Marseille, j’étais capable de parler, beaucoup moins de comprendre ! Mais nous suivions des cours de français à Centrale, c’était très utile.
Au début j’ai senti une frontière entre les étudiants étrangers et français à l’École. Comme nous ne parlions pas bien français, nous avions un peu peur de ne pas nous faire comprendre, et vice versa pour les étudiants français. C’est vrai que c’est au début de l’année que les groupes d’amis se forment et pour nous qui ne maîtrisons pas totalement la langue, cela peut compliquer un peu l’intégration, au moins au début.
Après vos deux années à Marseille, vous rentrez au Brésil ?
Je suis rentré au Brésil pendant un an et demi pour finir mon diplôme. J’étais alors encore très tourné vers l’industrie. Je suis rapidement devenu ingénieur de terrain dans la fiabilité et la maintenance dans la chimie dans une usine du groupe américain Dow Chemical à Guarujá, sur la côte, près de São Paulo.
Juste après mes débuts dans cette usine, j’ai reçu un mail avertissant tous les diplômés qu’une offre de thèse de doctorat avec Pierrette Guichardon et Nelson Ibaseta était ouverte à candidatures à Centrale Méditerranée. Le sujet m’intéressait beaucoup, la France me manquait fortement, le travail d’ingénieur à l’usine me plaisait moins que je ne l’avais imaginé, et je me voyais devenir un enseignant-chercheur.
J’ai postulé et, quelques mois après, j’ai été pris. J’ai passé quatre ans à Marseille, trois ans en thèse et un an en tant qu’attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER), et ce fut pour moi une révolution. J’ai découvert la recherche et l’enseignement et c’était ce que je voulais faire.
Ma thèse avec le Laboratoire de Mécanique, Modélisation et Procédés Propres (M2P2) portait sur la mécanique des fluides, le transfert de matière, la modélisation et la simulation numérique, et aussi des expériences aux échelles pilote et laboratoire. Je m’intéressais aux procédés de filtration membranaire comme l’osmose inverse et la nanofiltration dans le cadre du dessalement des eaux salées.
Dès ma première année de thèse, j’enseignais le génie des procédés en TD aux premières et deuxièmes années. J’ai compris que je voulais une carrière qui ne soit pas seulement centrée sur la recherche, mais aussi sur l’enseignement.
Alors que je n’avais pas eu d’engagement associatif pendant mon double diplôme à Centrale, pendant ma thèse, j’ai cofondé MC2, l’Association des Jeunes Chercheurs de Centrale Méditerranée, dont j’ai été le trésorier et ensuite le président. J’ai également été élu au Conseil Scientifique de Centrale en tant que représentant des étudiants de troisième cycle.
Quels liens avez-vous gardés avec le Brésil pendant ces quatre années ?
À cette période, les taux de change étaient très favorables pour voyager. J’allais au Brésil une ou deux fois par an. Ma famille venait me rendre visite. Pour des raisons familiales, après ma quatrième année à Marseille, j’ai eu envie de rentrer au Brésil pour un postdoc à l’Universidade Federal do Rio de Janeiro.
C’était le début de la crise économique et politique au Brésil. Je n’ai pas eu le poste pour des raisons économiques, alors même que mon projet scientifique avait reçu des compliments. En revanche, j’ai décroché un poste à Lima au Pérou dans une jeune université privée à but non lucratif, l’Universidad de Ingeniería y Tecnología (UTEC). Ils recrutaient des enseignants-chercheurs innovants et passionnés partout dans le monde. Le mardi matin j’étais à Marseille, le mardi soir au Pérou, je n’y avais jamais mis les pieds.
Comment s’est passée cette nouvelle expérience au Pérou ?
Le challenge m’a passionné, il a dépassé toutes mes attentes. J’y ai travaillé trois ans. Le Pérou est ma passion, mes amis péruviens sont parmi mes meilleurs amis et ce projet d’université est un magnifique challenge !
J’ai été transformé par les gens et le travail. Mes étudiants étaient très chaleureux, mes collègues étaient des experts, j’ai travaillé dans des projets de recherche financés par des organismes nationaux et internationaux, et j’ai eu aussi beaucoup de responsabilités administratives. J’ai exercé un vrai leadership, étant devenu coordinateur du programme de Génie Chimique et même le directeur intérimaire de mon département à deux reprises. J’ai aussi aidé à établir un contrat d’échanges avec Centrale Méditerranée. J’ai reçu un élève-ingénieur marseillais qui a fait de la recherche avec moi pendant six mois.
À l’UTEC et au Pérou, je me suis découvert une passion pour les problématiques des pays en voie de développement, pour l’éducation au-delà de l’enseignement, pour les sciences sociales également. Et cela m’a fait me poser des questions sur ce que je voulais pour la suite.
C’est à ce moment-là que vous changez de domaine ?
J’ai décidé de retourner à l’université pour me former en sciences sociales et en éducation avec un focus sur les pays en voie de développement. Ce focus, on l’appelle « études du développement » ou encore « développement international ». Ce parcours d’études est bien développé dans les pays anglo-saxons, et j’ai décidé d’aller au Royaume-Uni pour faire un master à l’University of East Anglia (UEA). C’était un changement de vie très important.
J’ai mis beaucoup de temps à mûrir cette décision, ce fut un virage compliqué à faire comprendre au monde, mais aussi à moi-même. Il a fallu que j’adapte mon cerveau à la fluidité, à la grande complexité des sciences sociales, et que je trouve des ponts avec mon parcours d’ingénieur et d’enseignant-chercheur.
Aujourd’hui, je suis chercheur en éducation et en développement international dans un centre de recherche à but non lucratif, la « National Foundation for Educational Research » (NFER), située près de Londres et qui existe depuis presque 80 ans. Je fais de la recherche qualitative et par méthodes mixtes sur des problématiques sociales et éducatives dans les pays en voie de développement, notamment en Afrique, et j’ai aussi travaillé dans un projet centré sur l’Angleterre.
Je me régale ! Je mène des projets de recherche et d’évaluation sur les politiques et les pratiques éducatives dans divers domaines comme l’enseignement et l’apprentissage des enfants et des jeunes défavorisés, la gouvernance du secteur éducatif, l’égalité et l’inclusion - par exemple, pour mieux tenir compte des besoins des filles et des enfants qui ont un handicap - parmi d’autres sujets. Ces projets de recherche sont proposés et financés par des ministères des affaires étrangères et de l’éducation, des organisations multilatérales, de grandes ONG, des fondations philanthropiques. Je travaille avec des sociologues, des anthropologues, des psychologues, des pédagogues, des statisticiens, mais également avec des gens qui ont fait des parcours purement dans les sciences naturelles. Désormais, je me tourne de plus en plus vers le management de projets de recherche, surtout en sciences sociales.
Pouvez-vous nous donner un exemple de vos travaux ?
Nous avons mené un projet de recherche en 2020 pour l’UNESCO sur la participation des acteurs non étatiques dans l’éducation, comme les entités privées, organismes religieux et les secteurs non gouvernementaux. La question était de savoir quelle était leur influence et leur participation dans le secteur éducatif, et comment la société civile les percevait dans des dizaines de pays sur tous les continents. Cette recherche aide à comprendre l’état de l’Objectif du Développement Durable numéro 4 établi par les Nations Unies, qui traite de l’éducation.
Fort de ce parcours, quel regard portez-vous désormais sur l’ingénieur ?
Je pense qu’il y a plusieurs profils d’ingénieurs. Le profil Centralien est le plus marquant. Il a la chance d’être exposé à la science, aux technologies, à l’apprentissage du management, aux sciences humaines et sociales. C’est un ingénieur qui peut comprendre et agir sur les enjeux sociétaux. Il peut parler avec le monde des sciences humaines et sociales comme avec des personnes très techniques et scientifiques. Ce n’est pas le cas de toute formation d’ingénieur, et j’en connais pas mal dans des différents pays. D’ailleurs, d’autres professions ont souvent du mal à comprendre ce qu’un ingénieur, Centralien ou pas, est capable de faire. Il existe encore une méconnaissance des profils d’ingénieurs généralistes et ouverts sur d’autres choses que les mathématiques, la physique, la chimie. C’est aux ingénieurs de le leur expliquer et démontrer, et les ingénieurs Centraliens sont bien placés pour le faire.
Et sur les échanges académiques ?
Les échanges académiques apportent une ouverture aux nouvelles technologies, aux techniques, aux différentes façons de penser, de résoudre des problèmes, de vivre. Les problèmes varient énormément d’un pays à l’autre, tout comme les solutions à y apporter. Pour un même problème technique, les groupes sociaux pensent et agissent différemment selon le contexte. C’est moins globalisé que ça quand on regarde le côté humain. Même s’ils ont des études et des emplois comparables, les cadres techniques et managériaux, les ingénieurs de terrain ou les enseignants à l’université dans différents pays ne réfléchissent et n’agissent pas pareil. On ne peut pas le comprendre sans le vivre, et on ne peut pas y réussir sans se laisser transformer par ces vécus. Ce n’est pas intellectuel, c’est expérientiel.
Même si je lis un livre sur la filtration membranaire, je ne peux pas résoudre un problème donné dans un pays simplement parce que je ne sais pas comment les gens travaillent, pensent, résolvent, prennent la décision, la communiquent, l’évaluent.
Je pense qu’il est important que les étudiants français considèrent les pays en voie de développement comme des destinations qui offrent des opportunités d’études, de travail et de vie absolument uniques pour des ingénieurs. Il ne faut pas se cantonner à l’Europe et l’Amérique du Nord. L’Afrique, l’Amérique Latine, l’Asie, le Moyen-Orient, les pays du Pacifique sont des endroits auxquels on ne pense pas assez pour des études, des stages, des offres d’emploi. Il s’agit pourtant de destinations valides et valorisantes pour les étudiants ingénieurs.
Un grand merci à Centrale Méditerranée pour tout ce que nous avons vécu ensemble depuis plus de 16 ans !