Miguel Alonso revient sur les découvertes révolutionnaires des Nobel de physique 2023
Miguel Alonso, Professeur d’Université et Directeur adjoint de la Recherche de Centrale Méditerranée, spécialisé en optique et en photonique, vulgarise pour nous leurs travaux sur la lumière.
- Mais d’abord qu’est-ce que la lumière ?
- Voir l'invisible
- Attoseconde quèsaco ?
- La “distorsion de la lumière”
- La technique du "rabbit" (lapin)
- Les applications de ces découvertes incroyables
- La recherche fondamentale récompensée
- Femmes et sciences, une distinction inspirante
- La recherche, aventure collective
- Le Nobel, une inspiration pour les élèves de Centrale Méditerranée
Mais d’abord qu’est-ce que la lumière ?
Dans son sens le plus habituel, la lumière est le phénomène à l’origine d’une sensation visuelle.
Physiquement parlant, elle est une onde électromagnétique émise, qui va quelque part. Cette onde est capable d’interagir avec la matière, en particulier avec des charges électriques que sont le proton (plus lourd) et l’électron (plus léger et donc plus mobile). La couleur d’un objet est précisément due à la lumière absorbée par les électrons, ou plutôt à ce qui n’est pas absorbé et qui est réfléchi.
“Le problème c’est que les transitions des électrons ont lieu dans des échelles de temps très très courtes” explique Miguel. Le Nobel obtenu par cette extraordinaire équipe de chercheurs va justement permettre de produire des flashs de lumière ultras brefs qui vont rendre discernable les transitions des électrons dans la matière. "Je vous ai perdu ?" demande Miguel (hochement de tête en signe d’approbation). Miguel ne se moque pas du tout, il s’appuie sur une analogie pour que cette affaire d’électrons devienne plus perceptible.
Voir l'invisible
Miguel se lance : "lorsque vous observez à l’œil nu, une abeille battre des ailes, vous n’êtes pas capable de séparer ses mouvements. La vitesse est telle que les ailes de l’insecte disparaissent presque. Les mouvements sont trop rapides. Si on veut vraiment voir image par image ces mouvements, nous devons nous aider de technologies comme un éclairage stroboscopique qui va venir capturer les phénomènes fugaces en envoyant des flashes de lumière très courts".
Le même principe s’applique à toutes les méthodes utilisées pour mesurer ou représenter des processus rapides : toute mesure doit être effectuée plus rapidement que le temps nécessaire pour que le système étudié subisse un changement notable, faute de quoi le résultat est flou. Les lauréats de cette année ont mené des expériences qui démontrent une méthode de production d’impulsions lumineuses suffisamment brèves pour capturer des images de processus à l’intérieur des atomes et des molécules.
C’est pourquoi les recherches d’Anna, Pierre et Ferenc intitulés dans le cadre du Nobel "Les méthodes expérimentales qui génèrent des impulsions lumineuses attosecondes pour l’étude de la dynamique des électrons dans la matière" ont été récompensées. Elles sont passionnantes et qu’elles vont changer le monde. J’imagine qu’il y a un mot qui freine un peu la compréhension de ce titre : "attoseconde". Miguel propose de le définir...
Attoseconde quèsaco ?
Pierre Agostini, Ferenc Krausz et Anne L’Huillier ont donc démontré qu’il était possible de créer des impulsions lumineuses extrêmement brèves qui peuvent être utilisées pour mesurer les processus rapides au cours desquels les électrons se déplacent ou changent d’état d’énergie. "Déjà c’est une prouesse scientifique, car les électrons sont des particules très légères qui bougent à toute allure comme les ailes de l’abeille, enfin bien plus vite". Nous avons beaucoup de mal à nous représenter cette échelle temporelle qui porte le doux nom d’attoseconde.
Dans le monde des électrons, les changements se produisent en quelques dixièmes d’attoseconde. Une attoseconde est si courte qu’il y en a autant en une seconde qu’il y a eu de secondes depuis la naissance de l’univers. Une attoseconde c’est un milliardième de milliardième de seconde. Les électrons sont des sous-particules avec une masse très petite donc le temps caractéristique de leur mouvement est encore plus court. Nous avons besoin de l’attoseconde pour mesurer ces interactions entre les électrons. "Sinon c’est comme si tu voulais mesurer quelque chose de très petit comme une micro cellule et que tout ce que tu possèdes c’est un double décimètre d’écolier. Tu ne vas pas pouvoir mesurer une micro cellule avec ça non ?". En effet !
Anne raconte avec émotion au micro des Nobels "Je pense qu’il est toujours passionnant de voir quelque chose que personne ne pouvait voir auparavant, et je me souviens encore de l’excitation que nous avons ressentie un matin très particulier dans le laboratoire du sous-sol de notre institut à Vienne, en 2001, lorsque nous avons pu pour la première fois résoudre la dynamique des électrons qui évoluait dans la période d’oscillation de la lumière visible. Ce fut un moment incroyable que je n’oublierai jamais. Grâce à la science attoseconde, nous disposons désormais d’un outil qui permet de développer des modèles qui simplifient la description de ces systèmes complexes."
La “distorsion de la lumière”
Définir une unité de mesure, ça peut paraître un détail, mais c’est en fait une étape indispensable pour qualifier un résultat, faute de quoi, il demeure vague. Avec l’attoseconde, Anne L’Huillier a pu aller plus loin dans ses recherches et observer le phénomène suivant : "quand on éclaire un système avec une lumière très forte il y a beaucoup d’énergie et donc le système va libérer des ondes qui à leur tour, vont venir changer les propriétés de la lumière". Miguel explique au moyen d’une analogie tirée d’un de ces domaines de prédilection : le son. "La lumière qui entre dans une matière n’est pas nécessairement de la même fréquence que celle qui sort. Par exemple, si on écoute de la musique amplifiée, on va avoir un signal électrique qui entre dans un haut-parleur. Si le volume est faible, le son sera de la même fréquence en sortant. Par contre si on élève trop le volume, alors le son sera distordu par le haut-parleur. On entendra un grésillement et ce ne sera plus le son original. C’est trop pour le haut-parleur donc il produit ce qu’il peut. Et bien avec la lumière c’est pareil. Quand elle est trop forte, la matière émet des ondes avec des fréquences différentes". C’est ce qu’Anne a observé en envoyant de la lumière forte dans un gaz noble. En sortant, ses électrons généraient des fréquences optiques supplémentaires.
La technique du "rabbit" (lapin)
Les lauréats de cette année ont mené des expériences qui permettent d’utiliser une méthode de production d’impulsions lumineuses suffisamment brèves pour capturer l’information sur les processus à l’intérieur des atomes et des molécules. Ces mouvements peuvent être étudiés avec les impulsions les plus courtes que l’on puisse produire avec un laser : Pierre Agostini est arrivé à 250 attosecondes environ. Comme ce n’était pas possible de produire une seule impulsion, il a produit une succession très rapide d’impulsions de lumière de cette quotition à 250. Un peu comme les rebonds successifs d’un lapin. Cela lui a permis d’éclairer les molécules de lumière et de voir la réponse des électrons. En d’autres termes : éclairer les ailes de l’abeille avec des flash très (très) courts.
Les applications de ces découvertes incroyables
"Nous pouvons maintenant ouvrir la porte au monde des électrons. La physique de l’attoseconde nous permet de comprendre les mécanismes régis par les électrons. La prochaine étape consistera à les utiliser", a déclaré dans une interview Eva Olsson, présidente du comité Nobel de physique.
En effet, il existe des applications potentielles dans de nombreux domaines. En électronique, par exemple, il est important de comprendre et de contrôler le comportement des électrons dans un matériau. Les impulsions attosecondes peuvent également être utilisées pour identifier différentes molécules, par exemple dans le cadre de diagnostics médicaux.
Cette découverte ouvre encore le champ des possibles au niveau de l’ionisation des électrons ou de l’atome par exemple. “On ne savait pas si c’était instantané, si ça prenait plus de temps” expose Miguel. Maintenant que l’on comprend mieux quelle est l’échelle de temps caractéristique de ces processus, toutes les technologies qui se développent autour des lasers, de la fusion nucléaire vont pouvoir utiliser la découverte d’Anne, Pierre et Ferenc.
La recherche fondamentale récompensée
Obtenir un prix Nobel, c’est un changement de vie radical. Cette nomination symbolise le prestige, la crédibilité. Elle permet aux scientifiques de se faire une place dans l’histoire. Les lauréats, déjà respectés dans leur domaine, deviennent des figures emblématiques bien au-delà de leurs collègues. Leur agenda se remplit à la vitesse de l’attoseconde. Blague à part : il y a aussi un aspect financier et l’assurance d’avoir les moyens de poursuivre leur recherche, non seulement pour eux-mêmes, mais pour l’ensemble de la discipline. Ici c’est d’autant plus intéressant que c’est une recherche fondamentale qui a été récompensée, c’est en soi un événement plus rare. Pourquoi ? Parce que la recherche fondamentale est le fruit d’années d’essais, d’améliorations du processus. C’est une physique complexe très intéressante qui ne vient pas chercher immédiatement une application dans la "vraie vie" comme le fait la recherche applicative. Elle plonge davantage dans les profondeurs des systèmes et des phénomènes, nécessite du temps pour approfondir. Cette complexité la rend fascinante. C’est pourquoi l’importance de financer la recherche fondamentale ne peut être sous- estimée. D’ailleurs les scientifiques récompensés n’avaient, eux-mêmes, pas prédit qu’ils seraient parmi les Nobelisés de cette année.
Femmes et sciences, une distinction inspirante
Nous connaissons tous Marie Curie pour son prix Nobel de Physique. C’est Miguel qui nous a fait réaliser que la Française Anne L’Huillier lui succédait puisqu’elle est la deuxième Française à recevoir le prix Nobel de Physique, et seulement la cinquième femme à être ainsi honorée par le prix Nobel dans cette discipline depuis 1901. Notons que Anne L’Huillier a fait ses études à l’université Pierre et Marie Curie. Coïncidence ? Allez savoir.
Miguel Alonso, partage notre enthousiasme : “J’étais tellement heureux en voyant l’annonce du prix Nobel de Physique, suivi des noms de deux Français, dont Anne L’Huillier. Les femmes lauréates de prix Nobel sont encore bien trop rares. Heureusement cela continue à changer dans le bon sens ". Cette distinction envoie un puissant message à toutes les femmes qui hésitent à embrasser des carrières scientifiques : Mesdames, osez la science !
La recherche, aventure collective
Le sociologue Franck L. Ward nous rappelle avec émotion : “La mesure de l’évolution de la société dépend de son intelligence collective, tout comme la puissance du cerveau est à l’individu.” Les lauréats du Nobel de Physique le savent mieux que quiconque. Leurs accomplissements colossaux résultent d’une collaboration étroite et d’efforts de recherche internationaux concertés tout au long de leurs carrières. Leurs découvertes n’auraient tout simplement pas été possibles sans la somme des contributions de nombreuses personnes. Malheureusement, les règles spécifiques des Nobels limitent le nombre de lauréats à trois. Cela peut sembler injuste.
Sur notre sujet de physique par exemple, à la même époque que Pierre Agostini, Ferenc Krausz menait des recherches sur un type d’expérience, permettant d’isoler des impulsions lumineuses d’une durée de 650 attosecondes. Ce sont les contributions de ces 2 lauréats qui ont permis d’explorer des processus d’une rapidité qui défiait auparavant toute observation.
Les recherches sont toujours le résultat d’une collaboration collective c’est pourquoi bien souvent, lorsqu’ils apprennent leur nomination, les lauréats aux Nobels commencent par rendre à César… En rappelant toutes les personnes qui ont participé de près ou de loin à la découverte récompensée.
Le Nobel, une inspiration pour les élèves de Centrale Méditerranée
Miguel Alonso, qui enseigne l’optique aux étudiants de première et deuxième année, sait que les prix Nobel sont une source d’inspiration inestimable. Il nous confie avec une pointe d’excitation : "Ces prix Nobel vont certainement participer à motiver nos futurs ingénieurs généralistes et à leur montrer l’importance de la physique. J’ai actualisé mes slides de leurs noms pour un cours qui vise à démontrer que l’optique est omniprésente dans nos vies. Je propose aux élèves ingénieurs de faire des mini projets axés sur des applications pratiques ou des aspects de la physique fondamentale, et ils ont 12 minutes pour les présenter aux autres. Cette année, les prix Nobel seront un sujet génial pour cet exercice. Je vais m’en servir pour nourrir leurs connaissances scientifiques”.
Merci Miguel pour votre engagement scientifique, ce travail de vulgarisation et ce témoignage captivant.