[Alumni] Céline Pagis, une ingénieure de recherche engagée
Photo : Portrait de Céline Pagis
D’où venez-vous ? Comment êtes-vous arrivée à Centrale ?
Je suis originaire de la région Rhône -Alpes, de Chabeuil près de Valence. J’avais une appétence pour les sciences, c’est pourquoi, après le bac, je suis allée en classe préparatoire aux grandes écoles. J’ai eu l’opportunité après la première année d’intégrer une classe PC étoile à Grenoble, au Lycée Champollion. Après avoir cubé, j’ai réussi les concours de Centrale Marseille et de Chimie Paris. Je voulais garder un aspect généraliste et explorer d’autres champs de compétences. J’ai donc préféré intégrer Centrale Marseille et décaler ainsi un peu le choix de carrière. La pluridisciplinarité qu’offre cette école me plaisait beaucoup.
Quels souvenirs gardez-vous de l’École ?
En 2012, j’arrive à Marseille. Je me souviens surtout des rencontres et du bel environnement dans lequel nous étions pour nous épanouir. L’intégration des premières années, c’était un moment fort. Je me souviens de la sensation de faire partie d’une communauté, de rencontrer beaucoup de nouvelles personnes. Dix ans plus tard, nous sommes une vingtaine à être restés proches, nous nous voyons deux-trois fois par an. D’ailleurs, en juin, je me marie avec un centralien de Marseille, ce sera l’occasion de tous nous retrouver pour fêter ça.
Après votre diplôme, vous avez décidé de poursuivre dans la recherche…
Durant mes études à Centrale, j’ai choisi de faire mon semestre à l’étranger à l’Université d’Amsterdam. L’expérience m’a plu et j’ai même prolongé de quelques mois sur place par un stage dans un laboratoire de recherche de l’université. Et c’est alors que lors d’une discussion concernant ma volonté de faire une thèse en catalyse en France, le chef de mon laboratoire de stage, Gadi Rothenberg, m’a conseillé de contacter David Farrusseng, grand scientifique dans ce domaine à Lyon. Et c’est ainsi que David allait devenir mon directeur de thèse. C’est une thèse qui a été réalisée dans un laboratoire CNRS de l’université Lyon 1 et financée par IFP Energies Nouvelles.
Qu’avez-vous retenu de ces trois années de thèse ?
J’ai vécu ça comme une première expérience professionnelle. J’ai beaucoup apprécié la grande liberté qui m’a été offerte et de voir grandir le projet, qui, à la fin des trois ans, permet d’être expert dans notre sujet. C’est un investissement fort mais qui paie derrière, c’est notre projet, c’est nous qui le faisons avancer.
Durant ma 3e année de thèse, j’ai pu présenter mes résultats de recherche dans des congrès scientifiques nationaux et internationaux, j’ai eu plusieurs opportunités d’emploi. Je me suis posée la question de faire un post-doctorat à l’étranger pour ensuite passer les concours de maître de conférences à l’université mais c’est un parcours assez sinueux. J’ai finalement postulé à IFPEN. Je n’ai aucun regret, je m’épanouis énormément dans mon travail.
L’IFPEN est un EPIC (Établissement Public à caractère Industriel et Commercial) comme l’ADEME, le CEA, le CNES, etc. Le statut particulier d’EPIC confère à l’institut un financement à la fois assuré par le budget de l’Etat et par des ressources propres, provenant de partenaires industriels. Historiquement, l’IFPEN travaille sur la thématique du pétrole mais dorénavant les missions changent et l’on se tourne davantage vers les nouvelles technologies pour l’énergie (NTE). Nous allons d’ailleurs bientôt changer de nom pour marquer notre engagement dans la transition énergétique et écologique.
Mon sujet de thèse était très pointu. Ce n’est donc plus le cœur de mes recherches scientifiques aujourd’hui. Mais, ma thèse m’a appris à mener à bien un projet scientifique, la rigueur, l’observation de la recherche et de belles rencontres professionnelles.
À quoi ressemblent vos journées d’ingénieure de recherche ?
Je travaille avec deux techniciens sur la photo-catalyse et la catalyse métallique au service d’un procédé de pétrochimie. Ensemble, nous établissons et discutons de leur programme de travail et ils réalisent les expérimentations au laboratoire. Par exemple, en photocatalyse, nous essayons de produire des carburants solaires à partir de CO2 et d’énergie solaire. Je suis le technicien qui opère ces manipulations, j’analyse et j’interprète les résultats, je les mets en forme puis je fais du reporting à la cheffe de projet voire au client.
En 2018 entre la fin de votre thèse et votre premier emploi, vous avez reçu une récompense importante…
Fin 2018, j’ai reçu une des bourses France L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. Ce sont des bourses attribuées à des doctorantes ou des post-doctorantes en fin de contrat par la Fondation l’Oréal et l’Unesco pour promouvoir la science et encourager les lauréates à poursuivre leur carrière scientifique.
Ils sont partis du postulat que de nombreuses femmes peuvent se décourager au fil des carrières longues et sinueuses qu’offrent le domaine de la recherche académique en France. Ainsi, ils mettent à disposition 15 000 ou 20 000 euros pour chaque lauréate dans l’optique de les encourager à poursuivre leurs projets de recherche. J’avais postulé en fin de thèse sur les conseils de mon directeur, David Farrusseng, sans grande certitude. Ma thèse s’était bien passée, mon sujet était porteur et nous avions trouvé une application un peu en marge du sujet initial : éviter le gaspillage alimentaire grâce au matériau que j’avais développé durant ma thèse. Ce n’était pas l’application demandée par l’IFPEN lorsqu’ils ont financé ma thèse mais nous l’avions développé pour expérimenter de nouvelles pistes. Cela tournait autour de l’alimentaire ce qui a intéressé le jury de la bourse.
Concrètement, nous avons développé des cristaux vides de zéolithes (matériaux poreux) pour emprisonner des molécules d’intérêt ou de désintérêt pour notamment éviter le pourrissement du fruit. Cette nouvelle forme de zéolithes continue d’être développée pour diverses applications.
Comment cette bourse vous a poussée à vous engager ?
En 2018, j’ai commencé mon poste à IFPEN le 1er septembre, j’ai défendu ma thèse le 3 octobre et une semaine plus tard, je partais à Paris. En amont de la remise des prix, nous avions, avec les 30 lauréates, une semaine de formation autour du leadership, dans le centre de formation du CEDEP, à Fontainebleau.
À la fin de la semaine de formation, au Palais de la Découverte, devant des chercheurs de renom, la remise des prix a eu lieu, c’était un moment hors du temps que j’ai partagé avec mes parents et mon conjoint. C’était assez incroyable.
Quand j’ai commencé ma thèse, je ne me suis pas interrogée sur le fait qu’il y aurait peu de femmes dans le laboratoire dans lequel j’allais travailler. En vérité, je n’ai jamais été confrontée aux discriminations de genre. J’en ai pris conscience lors de discussions avec les autres lauréates de la bourse. Elles avaient quasiment toutes une histoire à raconter, les concernant directement ou indirectement. Cela m’a profondément choquée.
La fondation L’Oréal est très impliquée sur ces sujets-là. J’ai été pas mal sollicitée, en tant qu’alumni pour le programme For Women in Science. Je me suis aussi engagée dans l’association « Femmes & Sciences » et mon entreprise, fait partie du réseau « Elles bougent » pour les femmes dans l’ingénierie. Ponctuellement, je réponds à des sollicitations pour intervenir dans des collèges et des lycées, notamment lors d’évènement de mentoring dans des lycées à éducation prioritaire pour essayer de créer des vocations en science chez des lycéennes.
Photo : Céline Pagis et Jean-Charles Caslot pour la fondation l'Oréal