École

Emmy Arts : 20 ans à Centrale, 15 déménagements, 6 langues, 1 thèse

"Suivre les évolutions géopolitiques est primordial pour garantir que nos élèves soient toujours bien accompagnés. (...) Ils ne sont pas seuls. Notre rôle est d’être là, avec eux, à chaque étape : de leur départ, jusqu’à leur retour. C’est un métier très humain."

Ces mots nous viennent d'Emmy Arts, Responsable des Relations Internationales que nous avons eu la chance de questionner sur son rôle dans l'école et l'importance de l'ouverture au monde pour les futurs ingénieurs.

En parlant d'humain, nous vous invitons aussi à découvrir dans cet article portrait, une amoureuse de Marseille, un pied dans l'école, l'autre dans les petites rues de Salvador.
emmy arts

Quel a été votre parcours avant d’occuper le poste de Responsable des Relations Internationales à Centrale Méditerranée ?

Étant originaire des Pays-Bas, j’ai fait mes études à l’Université d’Amsterdam, en sciences de la traduction français/italien, avec une spécialisation en environnement. J’ai eu la chance de passer une année de césure à Paris et de doubler avec un Erasmus à l’Université Aix-Marseille.

Après cela, j’ai travaillé quelques années en tant que traductrice puis enseigné le français à Maastricht. C’est l’amour que je porte à Marseille qui m’a ramenée en France. Pour l’anecdote, cette ville m’a tellement marquée qu’elle était au cœur de mon mémoire de fin d’études.

Je travaille à Centrale Méditerranée depuis 2004, ça fait donc pas mal d’années maintenant (rire). Dans mon métier, la stabilité est une force : être restée si longtemps au même endroit m’a permis de tisser un réseau solide, et les partenaires m’identifient immédiatement. On met en place des réflexes, un relationnel entre pairs.

Qu’est-ce qui vous motive dans le fait de favoriser les mobilités internationales pour les étudiants et les doubles diplômes ?

Ce qui me passionne, c’est la coopération. Je veux aller bien au-delà de la simple signature d’un contrat. Un échange entre 2 établissements prend tout son sens lorsqu’il englobe des programmes, des projets de recherche, des parcours étudiants marquants…

Je trouve qu’une mobilité réussie est une véritable collaboration, une mutualisation de connaissances. Quand je vois les parcours des élèves à chaque remise des diplômes (je suis d’abord très impressionnée) et aussi extrêmement heureuse d’y avoir contribué. Y compris quand je découvre les retours des étudiants étrangers, qui ont fait le choix judicieux de venir à Marseille et qui comprennent la richesse du programme d’ingénieur généraliste. Ils défendent ce positionnement en rentrant !

elève en australie

En quoi votre rôle d’ambassadrice de l’école à l’extérieur, est-il essentiel pour son rayonnement ?

Je suis pour limiter les déplacements et toujours penser à l’impact de nos transports. Pour autant, lorsqu’on se déplace, c’est pour une raison importante : nous allons par exemple établir des liens plus profonds, on explore des pistes de financement, et on ouvre des portes à de nouvelles collaborations bien plus efficacement.

Nous ne partons pas simplement pour « discuter autour d’un verre » ! Ce n’est pas un voyage. C’est un déplacement. Des décisions cruciales doivent être prises, parfois même sur des questions géopolitiques sensibles, comme la coopération avec certains pays. Ces rencontres directes sont essentielles pour assurer la pérennité des partenariats.

Quels sont les principaux défis dans la gestion des mobilités entrantes et sortantes aujourd’hui ?

Conférence mondiale UNESCO, sur l’enseignement supérieur

Conférence mondiale UNESCO, sur l’enseignement supérieur

Le monde bouge vite. Les programmes évoluent. Certains gouvernements s’opposent, et les politiques fluctuent. Nous observons que des pays ferment leurs frontières, d’autres changent la langue d’enseignement pour se recentrer sur leur identité nationale, ou tout au contraire, décident d’internationaliser leurs formations.

Suivre ces évolutions est primordial pour garantir que nos élèves soient toujours bien accompagnés, que ce soit face à des catastrophes climatiques ou à des bouleversements géopolitiques. Ils ne sont pas seuls. Notre rôle est d’être là, avec eux, à chaque étape : de leur départ, jusqu’à leur retour. C’est un métier très humain.

Quelle est la vision de Centrale Méditerranée à l’horizon 2030 pour vous, particulièrement sur le plan des relations internationales ?

L’UNESCO parle des « 3 P » : People, Planet, Prosperity, en évoquant comment l’éducation peut autonomiser les individus, protéger la planète, et favoriser la prospérité. Nous pourrions, encore davantage, nous inspirer de ces objectifs à tous les niveaux. De nombreux cadres de référence existent pour concilier mobilité internationale et durabilité. Il faut toujours chercher à aligner nos actions avec des objectifs concrets, sans tomber dans le greenwashing. Je pense qu’il ne faut pas annuler les mobilités, les avantages et les apprentissages sont bien trop indispensables pour les ingénieurs de demain et les enjeux qui les attendent dans un monde globalisé. Par contre on peut réorienter nos manières de concevoir ces échanges.

J’imagine par exemple un volet inclusion dans ces mobilités : il permettrait à des élèves avec des contraintes personnelles, éthiques ou physiques d’avoir d’autres moyens d’effectuer des projets internationaux, comme des écoles d’été ou des cours internationaux à domicile.

Je rêve de renforcer l’apprentissage de l’anglais pour tout le personnel (ça tombe bien c'est en cours dans notre Centrale) et pourquoi pas la mobilité de nos équipes internes, pour qu’elles puissent découvrir d’autres façons de faire ailleurs et s’en nourrir.

Je crois aussi beaucoup à l’internationalisation « à domicile ». Nous pourrions participer à des initiatives comme le Pause, un programme qui intègre les personnes réfugiées et les conduit vers l’emploi grâce à l’intégration scientifique et un accompagnement social. Le métier d’ingénieur étant un métier en tension, on pourrait aider ces "publics à risque", à accéder à nos formations hors concours, comme le Bachelor à Nice.

De manière générale nous pourrions continuer d'apprendre de la présence des élèves et de personnels étrangers sur notre campus pour nourrir cet esprit d’ouverture et d’interculturalité.

Cette force et cette curiosité d’aller vers, je la retrouve vraiment dans l’équipe des relations internationales : c’est une équipe dédiée, avec un vécu riche, des histoires familiales ou professionnelles internationales. Les membres de l’équipe ne sont pas arrivés là par hasard et font un travail formidable au quotidien en faveur de l’altérité et de l’ouverture dans tous les sens du terme.

NDLR : Une réflexion sur les mobilités internationales a été proposée à Centrale Méditerranée. Elèves et direction sont mobilisés pour échanger sur ces problématiques.

Y a-t-il des stéréotypes sur votre métier que vous aimeriez déconstruire ?

C’est un vrai métier. Un métier qui demande une connaissance approfondie des systèmes d’enseignement supérieur et des formations d’ingénieur. Par exemple, sans être experte scientifique, je sais que la fusion nucléaire est une notion complètement différente de la fission.

Surtout, je comprends les nuances selon les pays. Ce travail demande une réelle technicité qui évolue constamment, notamment pour préparer les dossiers de mobilité. Mon bagage de six langues est un véritable atout dans ce contexte.

Quel a été le plus gros défi depuis votre arrivée à Centrale Méditerranée ?

brésil

Avec la secrétaire des peuples indigènes de l’état du Céara

Le plus grand défi, je crois que c’est celui que je vis en ce moment (rire). Je termine ma thèse en « sociologie de l’éducation ». Mes responsabilités à l’école passent devant donc c’était une thèse en pointillés : je la rédige en parallèle, le soir et le week-end.

Ma thèse porte sur l’impact des politiques publiques sur l’accès à l’internationalisation au Brésil, et plus précisément sur les « cotistas », ces étudiants issus de minorités. C’est un monde fascinant que j’explore. Dans ce contexte, l’internationalisation prend une tout autre dimension. En effet, au Brésil, ils ont mené beaucoup de politique publique pour favoriser l’accès au monde. Pour nous Européens, c’est très facile de nous déplacer d’un pays à un autre, car on hérite de nombreux accords. Au Brésil par contre ce n’est pas le même contexte ni la même Histoire.

Je voulais explorer comment les étudiants, qui sont souvent des primo-entrants à l’Université, sont parvenus à accéder à la mobilité internationale. Quels domaines ils choisissent (souvent l’ingénierie). Scientifiquement je découvre un monde ! Ces gens ont dû se battre pour accéder à l’université et c’est encore un autre défi d’accéder à la mobilité internationale.

Travailler dans ce contexte m’a permis d’aborder l’internationalisation autrement et de découvrir l’incroyable impact qu’elle peut avoir dans la vie de certains jeunes. Ça m’a poussée à aller au-delà du métier et me redonne beaucoup d’énergie. Bon ça m’en a pris aussi un peu puisque j’ai dû apprendre le portugais de A à Z. J’ai fait 30 h de cours et ensuite je suis allée au Brésil, faire mes entretiens de terrain. Une sacrée aventure !

« Si vous étiez une capitale, vous seriez... »

Je serais Salvador, l’ancienne capitale du Brésil. C’est une ville vibrante, un véritable melting pot, avec des défis énormes, mais une chaleur humaine incomparable. À l’université là-bas, j’ai rarement vu autant de bienveillance, dans une structure qui a pourtant tellement de difficultés à surmonter.

Salavador

Pour vous, en ingénierie, quel pays est à surveiller de près, hormis la chine ?

Impossible pour moi de n’en nommer qu’un. J’ai toujours été attirée par les destinations moins demandées, celles qui ont moins de visibilité. Ces pays ont souvent des choses fascinantes à offrir et n’ont d’autre choix que d’innover rapidement.

Il est temps d’adopter une approche plus équilibrée, où le « Nord » cesse de vouloir tout expliquer au « Sud ». Ces pays ont beaucoup à nous apprendre. Je défends une approche donnant/donnant avec de vrais partenariats ou les deux parties sont gagnantes dans le processus. On adopte ainsi une approche bien moins hégémonique.

L’international dans le cursus permet aux futurs centraliens d’aborder leur avenir, leur métier d’ingénieur et le monde autrement en contribuant à leur façon à cet esprit d’ouverture.
C’est la compréhension de l’autre, quel que soit le métier poursuivi ou le niveau d'étude.

Une bonne nouvelle pour conclure ?

emmy

Je viens d’être nommée au sein de l’EAIE, l’European Association for International Education. C’est l’organisme de référence dans notre domaine, instauré dans les années 80 pour regrouper les acteurs des relations internationales.

J’ai été élue pour un mandat de deux ans, au sein du groupe thématique « Recherche sur l’internationalisation », où je représenterai la France aux côtés de 7 autres représentants d’autres pays.

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